Copropriété et Liberté de Culte
Dernière mise à jour : 5 févr. 2021
Depuis le 7 janvier 2015
Plusieurs centaines de morts en France
66 millions de blessés
66 millions de Français révoltés
et Unis dans la Révolte…
Lors de la grande manifestation, dite "marche républicaine", du 11 janvier 2015, réunissant à Paris et dans la même douleur, 42 chefs d'Etat et plus de 2.000.000 de personnes, nous avons pu apercevoir sur un panneau cette phrase : "Avant toute chose, l'Humanité".
Tout l'héritage du siècle des Lumières et de la loi du 9 décembre 1905 rédigée à l'initiative d'Aristide Briand se retrouvent résumés dans ce slogan.
Avant toute chose, l'Humanité.
La liberté de pensée donne à l'individu les outils intellectuels lui permettant de choisir et d'exercer avec discrimination et libre-arbitre, ses choix de conscience, de religion, de conviction.
La liberté de conscience est absolue et correspond à la vie intérieure de la personne.
L'expression de cette liberté de conscience en liberté de conviction, qui englobe la liberté de religion et dans laquelle on peut inscrire également la liberté de croire ou ne pas croire fait l'objet dans certains textes de restrictions dans son exercice.
La liberté de culte est garantie par :
la Constitution française :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d'origine, de race ou de religion.
Elle respecte toutes les croyances. »
Notons le terme de « croyance » et non de « religion »
la Convention Européenne des Droits de l’Homme :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La loi de séparation des Églises et de l'État promulguée le 9 décembre 1905, élément clé de la laïcité française, introduit la notion de « culte » désignant la pratique associée à une croyance au sens large.
L'État s'interdit de définir ce qu'est ou n'est pas une religion ou une croyance.
Son article premier dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. »
En droit français, comme en droit international, le concept de blasphème n’est pas reconnu et seuls les appels caractérisés à la haine, à la discrimination ou à la violence pour des raisons à base religieuse, raciale, ethnique ou nationale peuvent être condamnés.
Récemment, le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU, composé de dix-huit "experts", rend la France coupable de violation de la liberté de manifester sa religion et de discrimination envers les femmes musulmanes (avis du 10 août 2018, Aff. Baby Loup). Ce qui est en soi un non-événement dans la mesure où ce comité "Théodule" n'a aucune fonction régalienne, sauf à vouloir s'ingérer dans le fonctionnement social et moral des Etats souverains...
Comment peut-on concilier la liberté de culte avec le droit de la copropriété ?
La question paraît simple mais est sujette à de nombreuses polémiques et tellement actuelle. Pour preuve, accepterait-on de ‘voir’, ‘participer’ ou ‘subir’ les cinq prières dans la cour ou le jardin d’une copropriété, pourtant le deuxième pilier de la religion musulmane ? Pourrait-on tolérer l’un des rituels de l'Aïd El Kebir consistant dans le sacrifice du mouton dans un immeuble en copropriété ? Rappel : le risque pénal est de six mois de prison et de 15.000 € d'amende. Voyons-nous les Mezouzah qui agrémentent les parties communes des immeubles en copropriété ? Pensons-nous encore que le sapin de Noël, souvent décoré avec des angelots, surmonté de l’Etoile du Berger et/ou orné d’une crèche, est un symbole de la chrétienté ?
Toutes ces questions, qui peuvent faire sourire ou grincer les dents, ne trouvent pas de réponse dans les textes de loi. Faut-il s’en inquiéter ou au contraire faut-il y comprendre une tolérance de l’État français dans la pratique de la foi ?
Ce post permettra de mettre en exergue les quelques arrêts que la Cour de cassation a rendu et de comprendre la difficile frontière qui permet la liberté de culte avec les autres droits constitutionnels.
Ceci expliqué, cet exposé ne se veut aucunement intrusif dans les convictions de ses lecteurs. Si quelques uns pensaient à une propagande religieuse ou anti-religieuse, ce ne sont absolument pas les propos qui doivent y être entendu. L’objet de cet écrit est de comprendre, au début du XXIè siècle, les limites fixées par l’Administration dans l’exercice de sa foi au sein d’un immeuble collectif. Si, par impossible, l’auteur froisse la sensibilité de ses lecteurs par ses propos, ce n’est ni intentionnel ni malin.
I. Quelques Jurisprudences
Alors que les problèmes relatifs à la religion chrétienne sont résolus depuis plusieurs décennies (sonnerie des clochers, cérémonies traditionnelles…), la liberté de religion se retrouve confrontée à des problématiques nouvelles au contact des religions juive et musulmane.
Notamment, les immigrants musulmans, appelés après la Seconde Guerre Mondiale pour reconstruire la France, ont pu bénéficier du regroupement familial suivant leur désir d’implantation définitive. Et beaucoup ont acquis, comme quiconque, des appartements dans des immeubles en copropriété. Il importe peu qu’il s’agisse de personnes de nationalité française ou non. Il importe aussi peu qu’il s’agisse de personnes pratiquant couramment, occasionnellement ou non leur religion. Il importe peu que ces personnes soient plus ou moins intégrées. Il semble évident qu’elles conservent partiellement un mode de vie qui leur est traditionnel, dès lors qu’il n’y a pas d’incompatibilité majeure.
Pour autant, le régime de la copropriété demeure celui du statut français.
On ne trouve cependant que peu de traces d’incidents dans la jurisprudence publiée. Il faut donc se référer à la jurisprudence concernant des difficultés avec des copropriétaires de religion juive pour connaître les solutions qui leurs sont habituellement apportées par les juridictions françaises…
1.1. L’illégalité de la Soucca
Dans un arrêt rendu le 8 juin 2006 par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, un syndic a saisi les juges en référé pour solliciter l’enlèvement d’une cabane précaire installée sur un balcon, arguant de son illégalité eu égard aux stipulations du règlement de copropriété.
Pour mémoire, lors de la fête du Souccoth, les personnes de confession juive sont invitées à construire, au point le plus haut de leur habitation pour ne pas qu’il y ait d’élément perturbateur entre l’Homme et Yahvé, une hutte en végétaux, symbolisant l’errance des Hébreux dans le désert après la fuite d’Égypte.
La Soucca reste une construction symbolique dont la célébration ne dure qu’une semaine !
La Cour de cassation affirme, sans retenue, que « la liberté religieuse, pour fondamentale qu’elle soit, ne pouvait avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d’un règlement de copropriété ».
La décision des hauts magistrats est particulièrement sévère dans la mesure où la cabane incriminée est temporaire et visuellement admissible. Des fidèles sont alors privés d’un rite essentiel à la manifestation de leur foi, afin que d’autres copropriétaires jouissent d’une esthétique respectée.
Pour autant, il appert que le règlement de copropriété ait été publié avant l’arrivée dans l’immeuble des requérants. Ces derniers étaient donc libres de refuser ce « contrat de communauté » en trouvant un autre logement.
1.2. La multiplication des systèmes électriques de sécurité
Il est important de noter que l’arrêt de la Cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence. Notamment, la même chambre avait jugé quelques années auparavant, le 18 décembre 2002, qu’aucune obligation ne pèse sur un propriétaire-bailleur de mettre en place un système de fermeture mécanique en lieu et place, ou en même temps, d’un digicode.
Dans cette affaire, le bailleur d’un immeuble a fait poser des grilles de sécurité pourvues d’un digicode électrique dans le sacro-saint souci de sécuriser les lieux. Des locataires de confession juive ont mis en exergue leur difficulté de sortir ou rentrer chez eux à Shabbat, à cause de l’installation de ces nouvelles portes à impulsion électrique.
Sauf à installer illégalement une minuterie chez eux et programmer les horaires d'ouverture de la porte, ils sont donc tributaires des allers et venues de ses voisins lorsqu'ils souhaitent sortir, par exemple, pour se rendre à la synagogue… Ils ont, au regard de l’exercice de leur droit à exercer leur religion, réclamé auprès de leur bailleur, l’installation d’une serrure mécanique, en vain.
S’il est certain que l’usage de toute source d’énergie est interdit dans la religion juive le jour du Shabbat : « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs, n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique ».
1.3. La multiplication des systèmes électriques de confort
Mêmes causes, mêmes effets : de nombreux immeubles en copropriété installent des luminaires avec détecteur de mouvement et de présence par infrarouge, dans le souci constant d’apporter un confort. Ces allumages automatiques créent une violation des personnes pratiquantes dans le respect de Shabbat…
Il y a fort à parier que les magistrats créent un droit à la lumière et au confort pour pérenniser ces systèmes !
II. L’atteinte à la liberté de culte
Si essentielle soit-elle, la liberté religieuse subit de graves atteintes et sans proportion avec d’autres droits tout aussi fondamentaux.
2.1. Liberté de culte et droit à l’information
En effet, le droit à l’information justifie le fait d’installer une antenne individuelle sur son balcon. Les immeubles pourvus de dizaine d’antennes paraboliques inamovibles ne sont pourtant pas ce qu’il y a de plus harmonieux!
Le droit à l’information serait-il donc plus important que le droit à la liberté de religion, ne serait-ce qu’au regard de l’esthétique d’un bâtiment ou pire, d’un règlement de copropriété ?
2.2. Liberté de culte et droit de propriété
Et cette décision porte également atteinte au droit de propriété. Le droit de propriété est constitué par l’usus, l’abusus et le fructus. N’y a-t-il pas violation de l’usus en interdisant à un propriétaire d’un logement en copropriété de jouir librement de son bien, étant rappelé qu’un balcon attenant à un appartement constitue un seul et même lot de copropriété ? Faudra-t-il que les personnes de confession juive installent un rideau épais sur leur balcon pour cacher leur Soucca ?
Une simple question : quelle aurait été la décision des juges suprêmes si un occupant avait installé sur son balcon une tente d’enfants ? Les copropriétaires à l’origine du contentieux auraient-ils saisi la justice en vue de sa suppression, ou n’ayant pas le caractère cultuel, auraient-ils fermé les yeux?
Et que décideraient les juges de la Cour de cassation s’ils étaient saisis de l’installation d’une Mezouzah à l’entrée des habitations occupées par des personnes de confession juive, symbole de la protection de Yahvé et renfermant des textes sacrés ? Il y a certes une atteinte au respect des parties communes de l’immeuble. Il y a fort à parier qu’elle en serait bannie… Très récemment, une famille vivant à Montpellier a eu la surprise de recevoir une lettre du syndic de la copropriété lui demandant d'enlever sa Mezouzah.
Si, pour des raisons de santé publique et du nouveau droit des « animaux », les musulmans subissent également l’interdiction de sacrifier le mouton dans leur habitation, lors de la fête de l’Aïd, rite consacrant la fin du pèlerinage à la Mecque. Quoique certains y procèdent toujours au sein de leur cité… En 2018, plusieurs s'en sont émus sans qu'il y ait cependant la moindre condamnation ! Personne ne s’émouvra de croiser une femme vêtue d’une burqa intégrale, circulant librement dans les parties communes, au vu et au su de tous… Alors que l'on critiquera ouvertement celui qui porte la kippa et/ou les papillotes !
Au-delà de la manifestation d’un « signe ostentatoire à la laïcité républicaine », nos magistrats pourraient, en application du principe sécuritaire, obliger toutes personnes à déambuler à visage découvert, même au sein d’un lieu non ouvert au public (comme les parties communes d’une copropriété - je rappelle à cet égard que s'il est interdit de fumer dans les parties communes d'un immeuble, lieux réputés semi-publics, il serait donc possible d'y faire respecter la laïcité). Ainsi que l’État français l’avait souhaité, il y a plusieurs dizaine d’années, avec les Religieuses… Burqa, voile, kippa !
Jusqu’où ceux qui nous gouvernent iront-ils pour
nous interdire notre liberté de conscience ?
L’amalgame de la religion et du terrorisme est toujours aussi présent dans l’inconscient collectif ! Et ce, quelle que soit la religion invoquée ! Les Hommes de foi ne sont pas tous des radicaux, des meurtriers, des terroristes. La liberté de pensée donne à l'individu les outils intellectuels lui permettant de choisir et d'exercer, avec discrimination et libre arbitre, ses choix de conscience, de religion, de conviction. La liberté de conscience est absolue et correspond à la vie intérieure de la personne.
Alors que personne ne portera plus attention au sapin situé dans le hall d’un immeuble au moment de Noël ! D’ailleurs, Noël est-elle la fête des cadeaux, distribués par un vieux bonhomme aux couleurs de Coca-Cola offrant des Kinder et autres consoles de jeux à des enfants irrespectueux… ou est-ce toujours le symbole de la nativité ?
III. Difficiles conciliations entre la liberté de culte et la vie en copropriété
En reprenant les motifs des juges suprêmes, il est possible de concilier liberté de culte et vie en copropriété. Chacun contractualisera ses convictions religieuses ! Un pacte humain pour retrouver une liberté de culte, pourtant proclamée par la Constitution française...
Il faudrait, par exemple et pour reprendre les motifs des décisions jurisprudentielles, qu’un locataire précise à son bailleur ses contraintes avant de prendre possession de l’appartement convoité, dans un contexte de crise du logement !!! et où toutes discriminations sont interdites au nom du droit au logement… La HALDE risque de recevoir une avalanche de dossiers ! Absurde !
Et quid si ce même locataire ayant contractualisé sa foi avec son bailleur, si le syndicat des copropriétaires décidait d’installer un tel système de sécurité ?
Avec qui contracter lorsque l’on est propriétaire d'un logement situé dans un immeuble en copropriété ? Le syndic ? Le syndicat des copropriétaires ?
Nous ne lutterons contre les fanatismes qu'en augmentant sans cesse le nombre des esprits libres, instruits et cultivés.
Il est essentiel de rechercher le bon équilibre entre la morale, le civisme et l'approche laïque des questions religieuses. Notre Administration, qu'elle participe de l'Exécutif, du Législatif ou du Judiciaire, ne doit pas se laisser voler la spiritualité par des faux prophètes qui transforment en interdits, en rituels et en anathèmes, le juste effort des Hommes pour s'élever. Cette obsession identitaire nous tue.
Nous voyons donc poindre le risque de développer des immeubles de confession religieuse stricte. Des ghettos chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, etc. sans aucune espérance œcuménique à défaut d’être laïque…
Si tous les Hommes naissent libres et égaux en droit, il est indécent de confondre Liberté et Neutralisation des Différences ; Égalité et Neutralisation des Différences ; Fraternité et Neutralisation des Différences ; Laïcité et Neutralisation des Différences. Parce qu’en développant ces ghettos, nos copropriétés ne connaîtront pas la Paix Républicaine…
Si la liberté religieuse signifie, pour les pratiquants, pouvoir suivre sans restriction les règles de sa propre religion dans tous les domaines concernés et faire éventuellement du prosélytisme, à l'inverse, l'État français, laïc, estime que la liberté religieuse est avant tout une liberté d'opinion ; et cette liberté de pratique peut être restreinte au nom de l'intérêt commun.
En tous cas, il est encore plus indécent de constater qu’un simple contrat comme un règlement de copropriété a plus de valeur qu’un texte constitutionnel européen, transcrit en droit français ?
Où est donc passée la hiérarchie des normes ?